Le Mépris

5 heures, mon réveil sonne…

 

Youpi c’est lundi déprime. Dernier quart d’heure avant d’partir au taf,  j’le passe à mater ma face dans ma tasse de café noir. J’prends ma caisse pourrie qui n’veut pas démarrer, qui démarre. Let’s go pour un p’tit coup d’radio. J’me tape les pubs et les programmes les plus nuls de l’univers, le gratin d’la médiocrité s’affronte : pseudo intello et réflexion scato.

 

– Salut machin bidule, ça va ? Bon week-end ?  – petit ouais les lèvres serrées.
-Ça va pas ?

 

Si, mais j’ai les lèvres gercées trouduc, tu m’arraches la gueule avec tes questions. Dois-je te rappeler que je n’ai pas de prédispositions, connard, à mal délirer pendant 8 heures ? À psychoter, à creuser dans la caillasse. À m’cramer la trachée à respirer des solvants et me casser le corps à répéter les mêmes gestes.

 

Smicard, je suis, ne suis pas fier de me coltiner les boulots les plus merdiques. Qu’on m’explique les vertus d’un travail qui me rend névrotique. Péjoratif est mon adjectif.

 

Et ces journées qui s’enchaînent et mes gestes sont les même. Entre 4 murs je deviens cinglé. La nuit je travaille, mes yeux sont cernés. Mon corps s’est amaigri, mes joues se sont creusées. Mais faut que j’tienne. Faut qu’j’me batte comme une teigne pour celle qui est la mienne, toi ma fille que je n’vois qu’endormie, ne connais qu’à travers ce que me dit sa mère qui ne supporte plus nos vies décalées.

 

Mon travail me casse, j’suis fracassé. Tous les jours tabassé. J’en ai assez de cette peine vorace. J’ai besoin d’espace. Mon travail me casse, me fracasse, me tabasse. J’en ai assez de cette peine vorace qui m’agresse le cortex. Me travaille à la Flex.

 

J’ai dû dire merci pour torcher des chiottes. Enfin vivre dans un bloc de béton, comme tout c’quartier à la con. Bagnoles cramées, casseurs bordés par maman. Avec ma paie de pauv’ type, j’peux m’en aller rêver. J’achète des sous-produits. J’collectionne les crédits pour élever ma gamine qui n’comprend pas pourquoi ses jouets ne sont jamais ceux qu’elle a demandés. Et la mère de sa copine qui me tanne avec sa Merc’ et sa baraque. Mais fume donc du crack pétasse, me dis-je en souriant. Casse-toi avant qu’j’débloque, sinon c’est ma main dans ta gueule en live cinémascope.

 

J’travaille à la chaîne. Trois mille huit cent soixante-sept, trois mille huit cent soixante-huit fois le même geste. La torsion d’la machine m’insupporte. Ma tête me fait mal.

 

J’me suis vendu à l’usine, descendu au fond d’une mine. Mon corps, mon esprit ont muté. Je suis un être maladif aux déplacements maladroits. Mon mouchoir est noirci par mes crachats.

Remercié sans m’avoir dit merci, à 40 piges et ma baraque à payer. Vingt ans d’ photos d’ma vie dans la boite de ma vie, j’implore le règne du mépris.

 

Vieillard, téléspectateur dans un mouroir. J’suis propre on me toilette à la serpillière. Entre pensionnaires on s’amuse à parier sur qui vient de passer, dans l’plastique sur le brancard.

 

Je travaille à la chaîne.