Une mise au point comme tous les soirs. Face au miroir une promesse et du cran pour compléter la panoplie. Mon éloquence, le matin s’est barrée, ne m’a laissé que des répliques de série B. Les mots me reviendront peupler mon insomnie d’histoires de mots que je me fatigue à draguer.
La langue est sévère. Elle me fait défaut aux pires moments, se désole de mes phrases inélégantes et me balance une gifle de mots cinglants. Je rêve de mots qui rayonnent, les miens me désarment. Mon corps calmé sur une chaise, le doigt levé, j’écoutais une langue me parler de liberté.
Répondre à un signe, demander la parole, apprendre à se taire. Je maîtrise une grammaire sociale, une langue bridée qui garantit l’ordre.
Mes mots servent à obéir à d’autres mots. Ils se grippent si je m’exprime et affolent mon cœur. Un bracelet me serre les cordes vocales. Le corps social se nourrit de corps neutralisés. Je porte un outil rudimentaire. Comprendre le travail à faire. Se construire une pensée de bétail et remplir un espace d’objets inutiles.
Prendre la parole comme on prendrait un flingue, que le dialogue reste tranquille à sa place. Les mots rangés dans leur étui, on se la ferme devant la hiérarchie. Pour se rassurer, on se déclare notre amour des mots. Ces émissions où le mascara dégouline et les hommes s’embrassent comme des frères. Le remède à nos maux, son jeu de mot consternant.
Des mots couverts de fleurs… sur une tombe. Un poing dans ta gueule en guise de répartie. Une bastos pour un discours trop révolté. Les applaudissements cessent quand les mots gueulent. La tête entre nos mains, on pleure la mélodie.
On se parle la bouche pleine de mots ramassés dans des lieux communs. Se goinfrer pour rompre le silence qui nous plombe. De la mal bouffe qui fout la gerbe et roter des âneries. Plutôt se souhaiter un bon week-end que dire d’aller se faire foutre. La même collec’ de politesse qui rend dingue. Des mots qui dansent au rythme d’un mange disque qui a rendu son âme.
Une langue bien pendue pour ne rien dire, qui s’est pendue à des codes. Perdu dans les pages d’un conducteur, le texte d’un autre dans mes mains, j’entends parler à ma place.
Des mots qui manquent, d’autres noués dans ma gorge. Une parole incandescente sans force pour la porter. Faire disparaître un désir à fleur de peau. Je m’arrache la langue, parle de ma chair. Les yeux qui me fuient ne veulent pas m’entendre, ne pas croiser ma colère. Le silence pour ne pas me dire.
Putain de langue qu’on parle comme des cancres. Un lexique gros comme un parpaing sans pouvoir se comprendre. Des phrases qui se cognent dans une grille de mots croisés. Mal de crâne, prise de tête. Une langue installée à l’arrache. La notice introuvable et ma voix qui est cassée. Un doigt d’honneur puis faire une pause.
Se taire pour s’entendre et se plonger dans un livre. Des mots dans mes mains à perte de vue. Des mots qui ne postillonnent pas.